J’aime bien les romans indiens, et il m’est arrivé d’en lire qui n’étaient pas entièrement tragiques, mais c’est la première fois que je lis un roman indien dont la coloration principale est franchement comique. Rakesh Ahuja est un politicien vaguement véreux qui entretient de calamiteux rêves de grandeur urbanistiques, louvoie dans les méandres des faveurs et défaveurs ministérielles et consacre ses moments de loisir à trimballer ses treize enfants chez le glacier. L’histoire se déroule sur quelques mois alors que l’aîné des enfants, Arjun, aborde l’adolescence : le récit revient sur le secret de sa naissance – car Arjun, fils du premier amour de Rakesh, n’est que le demi-frère des douze marmots qui le suivent – et dévoile les peu enviables secrets conjugaux de Rakesh et de Sangita.
Karan Mahajan, dont c’est le premier roman, réussit au prix de quelques pages un peu creuses une très réjouissante mise en scène de Rakesh Ahuja dont il fait un personnage intéressant, mélange de médiocrité, d’ambition et d’un réel talent pour l’empathie et la manipulation – fût-ce sur la personne de ses propres enfants. Sangita elle aussi, quoique plus effacée, possède une certaine épaisseur, un tempérament bien à elle et même, en quelque sorte, un destin propre. Mais ce qu’il y a toujours d’un peu pesant et d’un peu tragique dans l’exploration d’un caractère, de ses dilemmes et de ses regrets est allégé par la bouffonnerie secrétée par la famille trop nombreuse. Comme dans l’immortel Treize à la douzaine, le moindre geste, répété quatorze fois, prend des proportions épiques et les enfants, lorsqu’ils font nombre, deviennent des créatures intrinsèquement comiques, comme autant de chats ou de singes. Le tout est immergé dans l’univers bizarrement puéril, parce qu’effervescent et bourrelé de contradictions, d’une Delhi étranglée par ses embouteillages.
Planning familial possède ainsi de l’Inde le caractère pléthorique et perpétuellement excessif, mais aussi la finesse psychologique et le sens d’une certaine fatalité : c’est donc bien, en effet, du comique indien, et c’est ma foi fort sympathique.
Planning familial, Karan Mahajan, 2008
Trad Julie Sibony
jeudi 4 novembre 2010
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