Pour Margaret Atwood, les femmes ne sont pas des hommes comme les autres. En dehors d’Oryx and Crake, roman d’anticipation qui décrit l’auto-destruction d’une sorte de société 2.0 aussi antipathique que vraisemblable, tous les romans que j’ai lus d’elle sont construits autour de personnages agressivement féminins. Les hommes sont lâches, volages, fragiles, menteurs, éventuellement morts ; en tous cas, inutile de compter sur eux. Ce sont les femmes qui ont du poids, de l’épaisseur, de la constance ; c’est à travers elles que les histoires se racontent. Ajoutez à cela un petit penchant de Margaret Atwood pour l’irrationalité qui se manifeste parfois au travers de personnages centraux franchement désaxés – l’extraordinaire héroïne d’Alias Grace ou la narratrice névrosée de The Edible Woman ; la Voleuse d’hommes, qui tient son titre d’un personnage maléfique aux personnalités multiples et apparemment doté de plusieurs vies, renforce ce climat par une structure ternaire qui évoque les récits issus de traditions orales (trois femmes, trois trahisons), et en prend décidément l’aspect d’un conte de fées. Ou d’un conte de femmes ? car au fond, de Peau d’Ane à Blanche-Neige, les contes de fées sont bien souvent d’horribles histoires de bonne femme.
Comme un conte de fées en tous cas la Voleuse d’hommes, au demeurant bien écrit et d’une lecture agréable, peut décevoir un peu le lecteur auquel elle ne propose, une fois refermée, aucun axe de réflexion, aucune question. On s’attend à autre chose de la part de Margaret Atwood, et peut-être a-t-on tort, en l’occurrence. La Voleuse d’hommes pourrait être un texte purement cathartique, ou une sorte de conjuration : un tombereau d’angoisses féminines déversées telles quelles, et un happy end un peu rapide pour boucler l’affaire. Cela n’en fait certainement pas le meilleur Atwood, mais cela reste un témoignage de l’exceptionnelle maîtrise de cet écrivain, capable de se confronter avec une certaine efficacité à un genre aussi désuet.
La voleuse d’hommes, Margaret Atwood, 1993
Trad. Anne Rabinovitch
dimanche 28 novembre 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire