Le Maître de trope est un bizarre roman de Chaïm Potok, dans un registre qui ne semble pas lui convenir merveilleusement : ses thèmes de prédilection, le lien avec le père et le poids des héritages individuels et collectifs, sont ici traités dans un format très bref au travers de deux entretiens entre le personnage principal et sa voisine.
Benjamin Walter, universitaire américain et spécialiste reconnu des questions militaires et stratégiques, entreprend d’écrire ses mémoires et bute sur les premières années, dont il ne souvient que de façon fragmentaire. L’arrivée d’une nouvelle voisine, une femme seule auteur de nouvelles vaguement fantastiques, le trouble d’autant plus que sa propre femme, malade du SIDA, traverse à ses côtés une agonie au long cours. Cette Davita, amicale et perspicace, le poussera à retrouver les souvenirs qu’il ne sait même pas avoir enterrés : le père, émigrant d’Europe Centrale qui a fait la Première Guerre mondiale du mauvais côté ; son ami de toujours, le maître de trope, ravagé par la guerre et le souvenir de la désertion (la sienne ? celle du père ?) qui retourne en Europe au début de la guerre pour y régler ses comptes avec son histoire ; Benjamin lui-même en 1944, protégé infailliblement, de l’Atlantique aux Ardennes, par les conseils subliminaux du maître de trope disparu, qui l’amènent pour finir devant un camp bourré de cadavres, dont certains encore vivants lui demanderont pourquoi il a tant tardé.
Rempli de personnages trop sommaires – comme le collègue juif de Walter, rescapé des camps et s’exprimant uniquement par références à Auschwitz – et d’ellipses déconcertantes, le Maître de trope tourne un peu à la nouvelle de Stephen King quand l’épilogue montre Benjamin dérangeant la mystérieuse Davita , incompréhensiblement devenue obèse et fort peu civile, alors qu’elle écrit nuitamment face à la fenêtre de notre héros qui s’aperçoit alors soudain lui-même dans son bureau de l’autre côté du jardin.
En bataillant parmi les métaphores, on peut supposer que cette enflure maléfique trahit un processus de création vaguement organique qui transforme Benjamin et ses confidences paranormales en aliment pour sa prolifique voisine. Benjamin serait une proie d’autant plus facile qu’il est entièrement reconstruit, ayant mis ses premières années de petit Juif enfant de déserteur sous le boisseau pour conserver sa vie durant la posture de l’Américain qui contrôle le monde par les armes. Le titre lui-même, si l’on veut bien chercher la petite bête, rappelle cette substitution d’identité, le trope (n.m) étant 1) une figure de rhétorique par laquelle un mot ou une expression sont détournés de leur sens propre 2) chez les Hébreux, le nom d’un signe musical. Benjamin serait-il détourné de son sens propre, par lui-même, et avec maîtrise encore ? Enfin, la fable est un peu trop entortillée pour qu’on la goûte.
Le maître de trope, Chaïm Potok, 1994
Trad Jean Pierre Quijano.
samedi 20 novembre 2010
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