Je ne sais pourquoi se pose aujourd’hui à moi avec insistance le problème d’une morale athée. Ce sujet est régulièrement évoqué, d’une façon étonnamment contre-productive, par les défenseurs des religions pour lesquelles celles-ci sont des institutions indispensables à la fondation d’une morale. Quand bien même ce serait le cas, il serait difficile de comprendre en quoi il s’agit d’un argument en faveur de l’existence de dieu : c’est ce qui s’appelle prendre ses désirs pour des réalités.
Reste qu’il faut vivre et, lorsqu’on est honnête, vivre sans dieu entre le bien et le mal. Vivre sans dieu veut dire, en l’occurrence, sans les deux outils fondamentaux de la religion que sont la doctrine et le rituel. La doctrine délimite le bien et le mal (encore que, même pour les croyants, la question reste manifestement assez compliquée, en raison des incompréhensibles silences divins sur certains points cruciaux). Le rituel donne au croyant la force de faire les choix que lui impose la doctrine.
Le rituel m’apparaît comme une forme d’échauffement moral : il s’agit après tout d’un sacrifice. Les rituels les plus anciens sont d’ailleurs des sacrifices, au sens littéral du terme ; aujourd’hui encore, on « sacrifie » à un rituel. Que lui sacrifie-t-on, au juste ? une parcelle de liberté, sans doute, que l’on dépose un instant pour obéir à un cérémonial dicté par d’autres : prêtres, fondateurs, ou même simplement le soi de la veille ou de l’année précédente, celui qui a conçu la règle à laquelle on se plie. Dans cet abandon il y a à la fois un renoncement et une volupté : celle de céder, de s’offrir, de se soumettre, grandie encore lorsque le rituel est collectif par l’expérience du partage des gestes et des émotions du rite. Dans la jouissance de la prière, notamment collective, le croyant apprivoise inconsciemment, au niveau neuronal, l’idée du sacrifice qui lui est associé. J’imagine que, comme dans tout processus d’apprentissage, certaines connexions nerveuses s’en trouvent créées ou renforcées, et que ce mécanisme fonctionne par renforcement positif comme un dressage au sacrifice. Or qu’est ce que la vertu, sinon le courage (« virtus ») de faire le bien, et pour cela de renoncer parfois à des chemins plus faciles ?
La difficulté pour l’incrédule est de se passer de cet entraînement auquel il ne parvient pas à donner un sens. Renoncer pour renoncer n’a pas d’intérêt, si la récompense du sacrifice ne vient pas conforter le dressage ; et quelle récompense l’athée trouvera-t-il dans un rite qui n’a pas de sens ? Pire, la raison même de ce renoncement se dérobera sans cesse devant lui : pourquoi abdiquer sa liberté, même temporairement, pour une règle qu’un autre a écrite, ou que j’ai écrite hier – quels titres avais-je alors à gouverner ma conduite d’aujourd’hui ? Les religions sont bien faites, qui répondent à cette question en mettant l’humilité au rang des vertus salvatrices et prescrivent d’obéir sans comprendre pour plaire à dieu; mais pour l’athée, comment renoncer à l’exercice de la raison ici et maintenant ?
Egarée sans rite ni doctrine, je rêve d’une règle qui serait assez absurde pour m’éduquer, que je partagerais avec d’autres, mes frères, et dont les fins me seraient respectables. D'ailleurs cette règle, au fond, il y a un temps où je l'ai eue; mais l'enfance est brève, et la vie est longue...
mardi 9 novembre 2010
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