Ceci n’est pas une pièce de théâtre. Il s’agit en réalité d’un texte extrait d’un roman de Tarjei Vesaas intitulé Les Oiseaux, et dit sur scène, en un monologue d’une heure et demie, par un acteur incarnant Matis, le personnage principal du récit. Comme, assez opportunément, Matis est un innocent qui parle aux oiseaux (d’où le titre), on s’accommode de le voir raconter ses propres aventures à la troisième personne d’une voix qui traîne et se brise sur certains mots, en particulier les prénoms – celui de Matis et de sa sœur Hege – soumis à une scansion systématique qui les fait paraître incertains et douloureux. Matis ânonne et radote comme le veut son état, mais il use du vaste vocabulaire et des tournures élaborées du narrateur : curieux contraste qui le décrit aussitôt, aux oreilles du spectateur non prévenu (parce qu’il n’a pas pensé à lire le roman, d’ailleurs introuvable) comme un homme d’un certain âge vivant à l’écart du monde moderne.
Matis déambule seul sur une scène noire, sous un plafond noir, entre deux murs rarement éclairés : toute la pitance offerte aux yeux des spectateurs se résume à un jeu d’expressions pour le moins limité éclairé par des lumières d’intensité et de couleur variable. Ainsi la pièce, et en particulier les cinq ou dix premières minutes pendant lesquelles l’acteur ne prononce pas un mot, prend-elle l’allure hypnotique d’une expérience de privation sensorielle. Il m’est difficile de comprendre quelle émotion cette manipulation est censée exprimer, ou quel phénomène susciter ; pour ma part, ce procédé trop apparent a eu pour effet de m’agacer copieusement.
Sans doute affectée par un défaut de sensibilité pathologique, je supporte très mal les œuvres d’art dont le principe, si j’ose dire, ne réside ni dans leur sujet, ni dans leur auteur, mais dans l’œil qui les regarde. J’entends par là que l’œuvre peut être plus ou moins attachée et motivée par le désir de représenter une réalité, ou une impression ; ou bien, par le désir de ne rien représenter du tout, mais de susciter ou de provoquer dieu sait quoi chez le spectateur, de le rappeler à ses propres émotions et au traumatisme insurmontable de sa naissance, ou de le « mettre en situation » de « créer du sens » (comme à la maternelle chez les instituteurs Freinet).
Ce qui m’insupporte là-dedans, ce n’est pas tant le projet de composer avec l’intelligence ou l’émotion du spectateur – à vrai dire, toutes les formes d’art en passent par là, j’imagine – c’est l’absence de sincérité de l’artiste qui, au motif de laisser le spectateur remplir les vides, s’abstient de dire quelque chose de lui-même. Car enfin, si je tiens absolument à me pencher sur mes propres états d’âme, je n’ai besoin de personne pour me tenir la main. La peste soit des metteurs en scène maïeuticiens ! De quoi se mêlent-ils ?
Brume de Dieu, Claude Regy, 2010
mardi 25 janvier 2011
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire