J’avais oublié à quel point Madame Butterfly était dramatique. Il y a quelque chose de racinien dans cette tragédie dont tout le monde, sauf l’héroïne, connaît l’issue à l’avance, et dans cette progression totalement épurée de toute péripétie. Les personnages y sont presque désincarnés, dépouillés de tout caractère propre, traversés par leur destin et par l’émotion qui flambe ou coule en eux – en elle, plutôt, tant le rôle-titre écrase les autres. Quand elle chante, cette Butterfly, ce ne sont pas des mots qu’elle égrène, on ne perçoit pas la géométrie des motifs musicaux: ce sont des nappes qui s’épanchent, comme pleurées par son âme écrasée; c’est un cri mélodieux, le fruit cristallin de la douleur.
Ou est-ce la mise en scène très stylisée de Robert Wilson qui amplifie, qui crée peut-être cet effet de dépouillement tragique ? Devant un écran éclairé d’une lueur d’orage ou d’une aube de printemps, il n’y a sur la scène qu’un plancher de bois et un sentier sinueux de galets. Blancs comme l’insouciance ou noirs comme le deuil, caparaçonnés de costumes raides comme du papier, les chanteurs restreignent leurs gestes, se déplacent à pas mesurés: dans cette économie de mouvement, les positions que sur la scène ils occupent longuement et avec détermination figurent un langage en même temps qu’elles dessinent des tableaux.
L’étonnant est que Madame Butterfly est également assez drôle. L’exotisme fournit, outre une relative vraisemblance à l’intrigue, l’occasion de respirations qui seraient presque bouffonnes si elles ne restaient discrètes : les quelques mesures de l’hymne américain qui se mêlent à la musique alternent avec un court thème caricaturalement oriental, les dialogues entre Américains et Japonais sont pleins de malentendus vaudevillesques, et la mise en scène en même temps qu’elle amplifie le tragique par son dépouillement évoque un Japon d’opérette qui prête à sourire.
S’il faut regretter quelque chose je déplorerai, sans doute, que Micaela Carosi laisse si peu de place à des acolytes qui d’ailleurs n’en méritent pas forcément beaucoup plus (le Pinkerton de James Valenti est bien pâle, mais peut-il en être autrement ?); et aussi que finalement, alors que l’on n’entend qu’elle, on ressort en ayant l’impression de ne l’avoir pas entendue assez. Ce n’est pas parce qu’elle est éteinte, au contraire: mais ces airs glissants et changeants ne donnent guère de prise et passent, dirait-on, à peine commencés, alors même que l’émotion est la plus transparente et que l’on voudrait y baigner sans fin.
Madame Butterfly, Puccini, 1904
Mise en scène Robert Wilson
vendredi 28 janvier 2011
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