Fabrice Humbert a eu au moins une bonne idée en écrivant la fortune de Sila : celle de donner au roman une construction en deux parties qui s’ouvrent toutes les deux sur le même incident dans un grand restaurant parisien. Le livre relate les trajectoires des personnages qui assistent à la scène : la première partie décrit leur itinéraire avant ce jour de 1995, la seconde les suit pendant quelques années après cet épisode. Le procédé permet de créer un lien entre des personnages qui n’en ont aucun puisque l’ambition du roman est d’évoquer la mondialisation financière au travers d’un oligarque russe, d’un sans-papiers africain, d’un ingénieur français embauché par une grande banque américaine et d’un entrepreneur américain reconverti dans le crédit immobilier.
Malheureusement, on cherchera en vain les autres bonnes idées de Fabrice Humbert. Ses personnages sont d’une coupable platitude, résultant d’un empilement hâtif de stéréotypes et donnant ainsi l’impression curieuse d’être extraits directement des romans de quelqu’un d’autre : Mark Ruffle, l’Américain, a l’air d’un personnage secondaire de Tom Wolfe, et les deux Français semblent pondus par une Fred Vargas prise d’aigreurs d’estomac, avec une mention spéciale au Polytechnicien puceau et à moitié autiste dont le trait de caractère le plus saillant (le seul, en fait) est son amour immodéré des appartements avec terrasse. Sila l’Africain, d’une innocence solaire, se distingue par sa rapidité à la course ; je soupçonne qu’il n’a même pas été nécessaire de pomper sur un autre auteur un aussi beau cliché. L’oligarque russe est peut-être le personnage le plus intéressant, encore que ses motivations, dans la deuxième partie, apparaissent de moins en moins crédibles.
Dans ces personnages de carton-pâte s’incarne un système de valeurs assez peu nuancé. Les personnages riches sont des salauds. Les pauvres sont des êtres de lumière. Les intellectuels doivent le rester et ne pas se vendre au grand capital. Quand on court après le pouvoir et l’argent, seule la défaite est rédemptrice. Amen.
La langue est à l’avenant : plate, infiniment plate, et cependant pas tout à fait assez plate pour que, comme chez Houellebecq, cette platitude ait un sens. Le problème est que Fabrice Humbert ne le fait pas exprès : personne, semble-t-il, ne lui a révélé par exemple que la pauvreté des dialogues pouvait être suppléée par un usage habile du discours indirect. Personne ne lui a suggéré non plus que l’abus de phrases à l’infinitif ou limitées à une proposition subordonnée sans principale avait quelque chose d’un peu lassant, pour ne pas dire pataud.
En lisant ce livre, je me suis à plusieurs reprises reproché mon propre agacement : après tout, quand Zola écrivait la Curée, lui aussi faisait la morale à la Bourse. Fabrice Humbert serait-il un Zola en devenir ? Ses dialogues au ras des pâquerettes apparaîtront-ils, dans deux générations, emplis d’esprit et de finesse ? Sa peinture du monde comme il va est-elle assez visionnaire pour qu’on excuse ses faiblesses d’écrivain ? J’en doute, à vrai dire.
La fortune de Sila, Fabrice Humbert, 2010
mercredi 12 janvier 2011
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