Je ne connais rien au théâtre, que cela soit bien entendu. Mais comme de juste, cette vaste ignorance ne m’empêchera ni d’avoir un avis, ni de vous en faire part. Rêve d’automne est une pièce de Jon Fosse, auteur norvégien contemporain apparemment connu pour ses textes à la fois répétitifs et hachés qui exigent une mise en scène intelligente : ce pour quoi l’on peut, de l’avis général, se fier à Patrice Chéreau.
Celui-ci commence par replacer dans un musée une pièce qui se déroule en principe dans un cimetière: si l’on comprend bien le parallèle entre ces lieux vides que le passé écrase, la substitution apparaît pour autant un peu gratuite – de l’intelligence en trop, si j’ose dire. Au demeurant, le décor créé pour l’occasion est impressionnant: une salle vide ouvrant, par deux monumentales embrasures, sur d’autres salles vides permet aux acteurs qui ne sont pas au centre de la scène d’errer, fantomatiques, apparaissant et disparaissant derrière les murs sang-de-bœuf. Patrice Chéreau réintroduit dans la pièce, en chair et en os, deux fantômes que le texte ne fait qu’évoquer et qui, pieds nus, en jogging ou en chemise de nuit, tournent autour des personnages vivants. La grand’mère à laquelle, en fait, personne ne pense, même le jour de son enterrement, promène sa sollicitude inutile tandis que tous l’invoquent à tour de rôle, faute d’avoir autre chose à dire. Le fils que le protagoniste a refusé d’élever déambule également, immatérielle statue du Commandeur à la plastique marmoréenne. Tout ceci est fort intelligent quoiqu’un peu trop didactique, un peu trop stylisé pour qu’on y adhère complètement.
Au milieu de ce décor immobile et parcouru d’ombres, un homme (Pascal Greggory) et une femme (Valeria Bruni-Tedeschi) apparaissent à trois moments de leur histoire commune, sans que les transitions permettent de comprendre immédiatement que des années, peut-être, séparent ces rencontres. Ce doute permanent sur l’écoulement du temps et sur le déroulement de l’histoire, l’absurdité des dialogues dont des pans entiers sont repris et répétés sans que cela corresponde à un progrès narratif – au point qu’on se figure pouvoir mélanger et inverser différents moments de la confrontation sans que le sens de l’histoire en soit altéré – contribuent à susciter l’ambiance onirique qui justifie le titre de la pièce. Pour ma part, j’ai été franchement gênée par certains détails dont je n’ai pu déterminer s’ils relevaient de l’artifice ou de l’erreur pure et simple. Pendant l’enterrement de la grand’mère, qui est le second moment de cette histoire, la mère de l’homme lui rappelle qu’il a déjà cinquante ans, et que son fils a l’âge qu’il avait, lui, quand il l’a conçu. Comme le fils en question n’a pas vingt ans, je suis restée coincée un bon moment sur la division de cinquante par deux: heureusement, l’intrigue n’a guère progressé pendant que je ruminais cette question.
Mais ce qui m’a surtout gênée, c’est que le couple formé par l’homme et la femme ne fonctionne pas. Valeria Bruni-Tedeschi, la voix criarde et le geste outré, en rajoute sur la fragilité de son personnage tandis que Pascal Greggory ne cesse de se contorsionner dans des attitudes improbables, se déplaçant courbé en deux et comme bossu. Le texte comporte des boucles dont la nécessité n’est pas apparente, telles les divagations sur les pierres tombales qui soulignent à l’excès, de façon une fois encore par trop didactique, les non-dits et les impasses des protagonistes; réciproquement, le jeu des acteurs s’empâte d’une crudité spasmodique qui est d’autant moins utile qu’elle est rendue d’entrée de jeu problématique par la première apparition de Pascal Greggory en quasi-clochard, ôtant ses chaussures pour s’en faire un oreiller. De cette entrée en matière on gardera tout le long de la pièce l’impression que cet homme pue. Difficile, du coup, de partager les émois de la femme, ou même de les tolérer. A ces scènes intimes trop pesantes, j’ai de loin préféré la partie centrale où tous les personnages sont réunis pour l’enterrement de la grand’mère et s’égarent dans des dialogues de convention, d’une absurdité pour le coup réjouissante et en tous cas moins étouffante que les entrechats lubriques auxquels l’homme et la femme se trouvent réduits quand ils sont seuls.
Dans la dernière partie de la pièce, la femme met des chaussettes rouges, l’homme enlève ses chaussures (à nouveau). La mise en scène de Chéreau tend à se condenser au niveau des pieds. Et c’est aussi à ce niveau que se résume mon propre inconfort face à ce spectacle. Entre le bruit de pieds nus sur un parquet, qui ouvre la pièce – rien de théâtral à mon sens comme ce bruit qui vous signale sans erreur possible la proximité du corps de l’acteur en même temps que la volonté de vous attirer immédiatement, charnellement, dans la pièce – et l’odeur (fantasmée) des pieds sans chaussettes de l’homme dans ses baskets marron; entre le pas sonnant des vivants et les pieds nus des morts, j’ai vu trop de symboles pour trop peu de sens, trop de corps pour trop peu d’esprit. A force de montrer les choses, comme le dit le protagoniste, elles disparaissent. Si c’est ce que Chéreau voulait montrer, c’est réussi.
Rêve d’automne, Jon Fosse/ Patrice Chéreau, 2010
lundi 17 janvier 2011
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