lundi 23 août 2010

Le vélo

Elle est l’aînée, condamnée à franchir des obstacles que personne n’a surmontés avant elle. Elle et moi, nous sommes à chaque fois tétanisées, tentant chacune à notre façon de faire bonne figure. J’affiche une inébranlable confiance dans des lendemains qui chantent, et je la soumets à un entraînement méthodique et quotidien ; elle fronce les sourcils, remonte les épaules et s’attaque à la difficulté, d’autant plus courageusement qu’elle ne voit pas une seconde comment le miracle va pouvoir se produire.

La semaine dernière, elle a appris à faire du vélo sans les roulettes. Quatre jours de suite, je l’ai tenue par un bras, courant en ligne droite sur un vaste trottoir désert en répétant « pédale et regarde devant toi » pendant qu’elle couinait « ne me lâche pas, ne me lâche pas ! ». Le cinquième jour, je lui ai appris à démarrer – remonte la pédale, appuie un grand coup et attrape vite l’autre pédale – et elle m’a demandé de la lâcher. Le sixième jour, elle a appris à tourner et à se servir des freins. Au bout de quelques tours, je l’ai laissée continuer seule. A regarder son dos étroit et ses bras en gressins, j’imaginais sa mine froncée par la concentration, mais quand elle est revenue vers moi j’ai vu qu’elle souriait largement, les joues roses et les yeux en croissants, ravie de cette soudaine liberté, du délicieux silence et du vent de la vitesse. Je lui ai dit que nous allions rentrer à la maison. Je l’ai vue tourner et s’éloigner, encore fragile et déjà assurée : c’était un envol dont j’étais le rampant.

Elle a pédalé jusqu’à la porte, s’est arrêtée – avec les freins – et elle est descendue de son vélo pour le hisser sur le trottoir. Elle ne m’a pas regardée ; elle n’avait plus besoin que je l’encourage ni que je la félicite. Quand je l’ai hélée, elle m’a fait un signe de la main. A cette petite amazone juste éclose j’ai dû paraître bien lente et bien tassée, à cent mètres derrière elle, avec son petit frère en remorque ; plus encore que la fierté de son exploit, j’ai vu dans son sourire de la tendresse.

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