On ne peut pas reprocher à The Ghost Writer de pousser trop loin la complexité de l’intrigue. Plutôt que d’ensevelir le spectateur sous un déluge d’indices et d’exiger pour être comprise une attention de tous les instants, l’enquête est même assez sommaire, ce qui n’empêche qu’on se laisse avec plaisir surprendre par la solution de l’énigme, bien qu’elle soit amenée par un procédé digne de Hergé plus que d’Agatha Christie. Le personnage d’Ewan McGregor, apprenti détective maladroit, toujours à moitié dans le cirage et totalement dénué de sens pratique, n’aurait d’ailleurs pas été à la hauteur d’une affaire plus embrouillée. Pour une fois, le héros se trouve donc parfaitement en phase avec le spectateur moyen : mal adapté à son aventure et incapable d’appliquer une stratégie définie. Au demeurant, c’est assez naturel pour ce héros fantôme, dépourvu de nom et d’à peu près toute utilité, traînant perpétuellement sa valise à roulettes et le manuscrit monstrueux d’un mort dans un univers familier et bizarre.
C’est en effet le côté fascinant de ce film que d’introduire dans le présent et même dans l’hyper-présent, celui du journal télévisé, des GPS et des BMW ronronnantes, une sorte de non-sens à la Lewis Carroll. La réceptionniste vêtue en fermière XVIIIème, le Chinois entassant dans une brouette des feuilles que le vent éparpille aussitôt, l’autochtone se prononçant sur les courants marins et l’Anglais de l’hôtel sont tout droit échappés du terrier du lapin blanc, et l’impression est renforcée par les symptômes de paranoïa anti-terroriste que notre héros croise entre l’aéroport et le lieu de villégiature de son client et qui semblent complètement dénués de sens dans un monde filmé comme presque vide. Les personnages principaux, Adam Lang le ministre à la tête creuse et ses deux femmes, sont tout aussi féériquement caricaturaux (et la plastique éculée de Pierce Brosnan n’y est pas pour rien, en ce qui concerne le premier cité).
Ce côté vide et liquide fait aussi la singularité de l’ambiance du film, dans lequel l’eau est omniprésente: la mer qui recrache le cadavre du premier nègre, les plages désertes, les nappes de pluie qui enveloppent l’action en permanence dans une sorte de cocon humide et feutré. La maison d’Adam Lang, sur une île (bien sûr), apparaît au milieu de ce déferlement perpétuel comme un abri paradoxal, certes sec – on ferait difficilement plus sec, d’ailleurs, que cette coque de béton brut – mais de toutes ses énormes vitres ouvert comme un œil géant sur le flot lacrymal qui le baigne. Cet œil permet un étonnant jeu d’écrans, lorsque dans la maison Adam Lang et son équipe se voient à la télévision filmés par l’hélicoptère qui les survole. La fluidité et la vacuité du monde sont aussi soulignées à d’autres occasions, notamment dans la façon de filmer certains mouvements : la poursuite en voiture (pluie, ronronnement, glissement rectiligne et feutré), le billet passé de main en main à Ruth Lang à la fin dans un mouvement ondulant de vagues et sous le flux continu des mots du discours qu’elle prononce, et le très joli plan final, vide, où tout le sens est porté par des feuilles de papier poussées par le vent.
The Ghost Writer est au total un film extrêmement bien fait qui, par un traitement très personnel, réenchante sournoisement un imaginaire totalement aseptisé. En tant que critique débutante, je voudrais bien pouvoir dire un mot pour conclure de la dimension hitchcockienne du film, ce qui vous pose toujours un article ; mais comme je n’ai pas vu les films d’Hitchcock, ça ne va malheureusement pas être possible.
The Ghost Writer, Roman Polanski, 2010
vendredi 26 mars 2010
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