Ce que La Révolution Française fait d’abord éclater aux yeux du profane, c’est la grande complexité des évènements qui se sont déroulés entre 1787 et 1799. Ces douze années ne sont qu’une succession de crises, de coups d’Etat, de « journées », chaque évènement modifiant les rapports de force, éliminant et introduisant de nouveaux acteurs. La lecture des deux tomes, avant et après Thermidor, en est rendue assez dense. Les auteurs tentent de répondre à la question de l’impossible stabilisation et montrent ce que la Révolution doit à la conjonction de trois mouvements : celui des hommes de droit, à la recherche d’un régime garant des libertés ; celui du peuple des villes, irrationnel et soupçonneux, d’abord préoccupé de la subsistance et des hypothétiques complots qui s’y attaqueraient ; celui des campagnes où règne la rumeur et les « grandes peurs ». Ils s’attachent entre autres à deux aspects déterminants des crises successives qui forment la Révolution : la question financière et la politique extérieure.
La question financière est celle qui a tout déclenché : la chronologie de la Révolution est rythmée par la convocation des Etats Généraux (pour raisons fiscales), le combat pour l’égalité fiscale qui a suscité, bien plus que la question des libertés, la fatale résistance de Louis XVI, la refonte de la fiscalité qui a entraîné, du fait d’un taux de recouvrement très bas, l’assignat et la nécessité d’aliéner les biens nationaux. Après Thermidor, ce fil rouge continue à courir : entre le discrédit qui pèse sur le Directoire tenu en lisière par des fournisseurs rapaces et la munificence de Bonaparte payant les soldes en numéraire extorqué aux Italiens, les difficultés financières ont largement contribué à la piteuse fin du régime. De cette question d’argent une conséquence sociologique aura été déterminante dans la grande mue de la société entre 1789 et 1799 : l’aliénation des biens nationaux, de moins en moins contrôlée, a permis l’émergence voyante de spéculateurs nouveaux riches mais également celle d’une couche de paysans propriétaires et logiquement conservateurs.
La politique extérieure – c'est-à-dire, dès 1792, la guerre – est le second facteur d’instabilité majeure : souhaitée de toute part, de Louis XVI aux Girondins, elle sera l’occasion, aux premières défaites, d’un choc qui favorisera l’entrée en scène du peuple mû par un « réflexe patriote » (c’est bien de tout le livre l’élément psychologiquement le plus surprenant). Les sans-culottes ont déposé le Roi, la proclamation de la République suivra. Ils entraîneront contre leur gré les membres des Assemblées successives, enfants des Lumières cherchant la clé de la stabilité d’un régime à inventer, et c’est par eux qu’apparaîtront le souci économique – le maximum et la taxation – la préoccupation égalitaire, et la violence.
François Furet et Denis Richet ne s’en tiennent pas d’ailleurs à ces deux grilles de lectures : la grande force de leur livre est dans leur souci de croiser les approches et de n’accorder de prééminence à aucun paradigme simplificateur. La lutte des classes comme alpha et oméga de l’explication historique n’est certainement pas leur tasse de thé. De ce fait, la Révolution Française est difficile, sinon à lire, du moins à digérer, du moins pour le béotien que je suis. Ce livre est, surtout, un évangile de la complexité historique et particulièrement de la complexité politique. Ainsi le premier moteur des évènements de 1789, la remise en cause de l’absolutisme, a-t-il uni les Parlements et la noblesse avec la bourgeoisie, les uns pensant dans cette lutte sauvegarder les privilèges, les autres les voir disparaître. La Révolution Française nous montre ainsi, en cette occasion comme en d’autres, l’Histoire avançant à la faveur d’un malentendu.
La Révolution Française, François Furet et Denis Richet, 1973
samedi 6 mars 2010
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