vendredi 19 mars 2010

La Révolution française (2)

A lire Albert Soboul après François Furet (et en même temps que Pierre Gaxotte) on se croit par moments dans les Exercices de Style de Queneau, car enfin c’est toujours sur la plate-forme de l’autobus S qu’un gringalet a une altercation avec un autre voyageur ; mais si pour Furet ce choc comporte de nombreux déterminants, si pour Gaxotte il est essentiellement imputable au relâchement moral et à la prétention intellectuelle du gringalet, avec Soboul il nous apparaît que toute l’affaire est par nécessité historique une question de classes.

Le minuscule ouvrage publié par Albert Soboul (par ailleurs somme d’érudition sur le sujet, et notamment sur les Sans-Culottes) sur la Révolution Française démontre, contre l’interprétation de Furet pour qui les évènements français s’inscrivent dans une sorte de continuum historique et géographique et dans un mouvement général balayant l’ensemble du monde occidental, que la Révolution Française constitue un évènement sans équivalent, précurseur unique de la mère de toutes les révolutions (la russe). L’alliance entre la bourgeoisie et la classe populaire, cimentée par une réaction aristocratique particulièrement obtuse, fait le fond de la Révolution qui, toute bourgeoise qu’elle demeure, montre à certains instants la révolution populaire en gestation. Ce mouvement qui sera écrasé en raison de « l’état objectif des nécessités historiques » (et notamment l’insuffisante maturité économique et sociale de la Sans-Culotterie) se fait jour en particulier en l’an II, lorsque la Commune pousse la Convention à adopter les mesures révolutionnaires que sont la Terreur et les lois de taxation. Il réapparaît après Thermidor à l’occasion de la conspiration babouvienne des Egaux en laquelle Soboul voit la première manifestation d’un communisme politique.

Très orientée idéologiquement, la présentation de Soboul se focalise sur trois moments de l’alliance entre le peuple et la bourgeoisie : quatre-vingt-neuf, le temps d’une unité factice ; quatre-vingt-treize, la tension éphémère vers une démocratie populaire ; quatre-vingt-quinze, la victoire de la bourgeoisie libérale. Cette présentation comporte aujourd’hui un double intérêt : d’une part, comme c’est toujours le cas, le choix de privilégier une catégorie de causes contribue très fortement à éclairer l’évènement et à le rendre intelligible ; d’autre part, le discours produit un effet curieux quand on le lit après la faillite des doctrines politiques fondées sur le matérialisme historique. Albert Soboul a les yeux de Chimène pour les pratiques de « centralisme démocratique » des Jacobins (la décision en comité restreint, le scrutin épuratoire…) ; il admire les mesures révolutionnaires de l’an II, justifie la volonté défensive et punitive du peuple contre les traîtres à la nation et le complot aristocratique, et, finalement, s’abandonne dans les dernières pages à un romantisme révolutionnaire tout de même inattendu en proclamant que le souvenir même des évènements est révolutionnaire et qu’à ce titre « il nous exalte encore ».

On peut ne pas partager cet élan et juger toutefois intéressante la lecture de l’opuscule de Soboul qui est l’occasion de reposer les questions de fond par lesquelles la misère peut ébranler le compromis démocratique : quelle articulation entre les droits formels et les droits réels, entre le respect de la propriété et « l’égalité de jouissance » ?

La Révolution Française, Albert Soboul, 1965

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