La fabrique des images est une exposition au principe original. Elle illustre l’idée qu’à travers les modes de représentation du monde, ce sont des façons de penser le monde, des ontologies différentes qui transparaissent. (L’ontologie est la science ou plutôt le mode de conception de l’être : c’est le mot du commissaire de l’exposition et non le mien, pour ceux qui s’apprêteraient à ricaner). L’exposition distingue quatre modes en croisant deux critères : vision du monde physique et vision du monde de l’esprit. L’un comme l’autre peut être perçu comme fondamentalement continu et homogène, de l’homme au nénuphar en passant par la truite, ou au contraire comme essentiellement discontinu et hétérogène. Une jolie petite matrice carrée illustre le propos et rassérène les esprits scientifiques, comme ceci :
[rogntudjû, blogger ne veut pas de ma matrice!]
Ainsi l’animisme reconnaît un esprit de même nature, sous des formes différentes, aux animaux et aux hommes ; certains Indiens d’Amazonie considèrent que les guépards entre eux, par exemple, « se voient comme des hommes ». Diverses pratiques chamaniques visent à communiquer avec les esprits ainsi logés dans des formes variées ; des masques « à transformation » ou des statuettes d’animaux en miniature donnent à percevoir la présence mêlée des esprits de différentes espèces.
A l’inverse, pour le point de vue naturaliste, l’esprit sépare les hommes d’une nature à laquelle ils appartiennent par la matière, ce que traduit une représentation toujours plus fidèle et « laïcisée » d’une nature qui n’enferme plus que son propre mystère.
Le totémisme m’est resté, je dois l’avouer, assez obscur, malgré les joyeuses peintures acryliques des aborigènes australiens. L’idée est celle d’un lien profond, noué à l’origine du monde, entre des hommes, un site, et un animal ou un végétal originel, et l’histoire de ce « totem » qui a imprimé ses pérégrinations sur le site et les hommes qui l’habitent. Je n’ai pas bien compris pourquoi ce mode de perception supposait de représenter tantôt l’animal sur un fond vide et avec ses boyaux apparents, et tantôt le chemin qu’il a parcouru (des tas de traces de pattes, sans animal).
Quant à l’analogisme, il s’agit de la conception qui, constatant des différences d’essence irréductibles entre les êtres entre eux, tant dans la sphère de la physique que dans celle de l’esprit, tente d’ordonner la pagaille résultante en créant des réseaux et des correspondances (montagne et eau, cœur et esprit, yang et yin, chocolat et vanille, etc) et en représentant les personnages entourés de toute une somme d’attributs (comme les dieux hindous). Là encore, je n’ai pas trop bien compris pourquoi des représentations « fractales » où les pupilles d’un masque représentent le masque relèvent d’une conception analogique du monde.
L’exposition se clôt sur le rayon « faux amis » : un même type de représentation (un buste, un paysage, un croquis des proportions humaines, un masque à l’ornementation compliquée) ne ressort pas forcément à une ontologie unique et donc ne se lit pas toujours de la même façon. Ce qui m’a posé au moins deux questions : si des conceptions différentes produisent des représentations analogues, comment sait-on que les conceptions sont différentes ? pas seulement en observant les représentations, en tous cas. Si on prend une œuvre toute seule, détachée de la connaissance anthropologique du milieu qui l’a produite, on n’y voit sans doute que du feu, d’où une vague impression de frustration à la fin de l’exposition : on n’est pas plus avancé, puisqu’on a toujours besoin des explications. Par ailleurs, je me demande comment on passe d’une ontologie (puisqu’ontologie il y a) à une autre. Ainsi, la transition d’un mode analogiste vers un mode naturaliste semble commencer dès le XIVème ou XVème siècle : pourquoi ? qu’est-ce qui la provoque ? pourquoi en Flandre et pas en Chine ? et puisqu’elle est antérieure aux grandes évolutions intellectuelles de la Renaissance, dans quelle mesure les a-t-elle provoquées ou favorisées ?
Avec tout ça, je dois avouer qu’on ne regarde pas beaucoup les œuvres exposées d’un point de vue esthétique, on est trop occupé à essayer de comprendre en quoi elles illustrent les différentes conceptions du monde. Mais c’est de ce fait une exposition très intéressante que je recommande chaleureusement à tous ceux qui, comme moi, adorent expliquer tout l’univers juste en croisant deux axes.
La fabrique des images, Musée du Quai Branly
vendredi 9 juillet 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Moi j'ai été fasciné par l'éclairage de cette clef de compréhension, et qui vaut le détour me semble t il pour ceux qui bon an mal an se pressent dans les expos pour voir quelque chose d'artistique. A y réfléchir à deux fois, j'aimerai bien allé plus loin dans l'exploration de cette "science?" de l'entendement, tant la méthode laisse des questions pendantes... Cependant s'il faut aller vite au catalogue et à la révision des classiques, il est dommage que sur place l'expo ne soit pas plus didactique pour des néophytes.
RépondreSupprimer